"Nous avons entrainé beaucoup de pays d'Afrique dans le courant de l'histoire universelle" J.-P. Chevènement.
César faisant entrer les gaulois dans l'histoire universelle.
La colonisation et l'histoire universelle.
Jean-Pierre Chevènement était récemment l'invité de Radio classique. L'entretien nous donne à réentendre des propos déjà tenus ailleurs (les verts sont des bobos, etc.) et aurait pu être sans intérêt si l'ancien ministre ne s'était pas arrêté un instant sur le Gabon après la mort d'Omar Bongo. Voici son discours (1) :
"Je m'exprime avec beaucoup de nuances sur ce sujet parce que les liens entre la France et l'Afrique sont anciens. Nous avons entrainé beaucoup de pays d'Afrique dans le courant de l'histoire universelle, cela nous crée des responsabilités particulières et je ne suis pas de ceux qui critiquent par exemple le fait que nous ayons des forces pré-positionnées en Afrique, notamment au Gabon. Il semble que le gouvernement actuel voudrait replier le dispositif mais cela ne serait pas une bonne chose parce que la France a un rôle stabilisateur et elle a évité les déchirements ethniques, par exemple en Côte d'Ivoire, le Gabon lui-même les a évités et quand j'entends Eva Joly dire qu'il était un vieil ami de la France, un fidèle ami de la France, ce n'est pas une critique en soit, il n'a pas servi ses citoyens, (je continue la citation d'Eva Joly). S'il a préservé la paix au Congo cela mérite que, au Gabon pardon, (je pense au Congo voisin qui lui n'a pas évité une guerre civile ravageuse), disons que c'est un point qu'il faut mentionner à l'heure de sa mort. Que par ailleurs, il ait voulu corrompre beaucoup de dirigeants, y compris français, ça c'est certain, mais il a corrompu ceux qui voulaient bien se laisser corrompre et ils sont sans doute nombreux."
Histoire universelle ou mondialisation ?
Examinons rapidement le propos sur la France qui a entrainé beaucoup de pays dans le courant de l’histoire universelle. Posons une question : Jean-Pierre Chevènement dirait-il la même chose des celtes (gaulois) ? Eux-aussi ont été, parait-il, entrainés par les Romains dans le courant de l’histoire universelle puisque Rome se pense comme le centre de l’univers connu qui a seule prétention à écrire l’histoire universelle. Tacite qui comme chacun sait est né en Gaule Narbonnaise, c’est-à-dire dans le Midi de la France actuelle, écrit pourtant ses Histoires et ses Annales d’un point de vue foncièrement romain parce que ce qui se joue à Rome se répercute dans les provinces : l'histoire universelle est qui concerne avant tout le "centre". De manière nette, le point de vue de Jean-Pierre Chevènement est entièrement romain : le peuple conquérant entraine les autres dans le sillage de son histoire qu’il pense comme universelle, l’argument est vieux comme la romanisation ! Les pays africains, de ce point de vue, ne suivent que le courant de l'histoire sans choisir leur trajectoire.
Mais qu’est-ce que l’histoire universelle ? Il semble qu’elle commence avec l’apparition des hommes quelque part en Afrique et il ne faut pas confondre la mondialisation et l’histoire universelle. Cette première prend un essor considérable avec la colonisation, Fernand Braudel parle de « première mondialisation ». En revanche personne, de sérieux s’entend, ne peut dire que l’Afrique entre dans le sillage de l’histoire universelle avec la colonisation.
La France et son rôle stabilisateur en Afrique.
Mais ce qui est le plus étonnant, c’est d’entendre Jean-Pierre Chevènement parler de « responsabilités particulières » de la France pour parler du soutien apporté à Omar Bongo. Ces responsabilités rappellent le devoir d’ingérence que Jean-Pierre Chevènement exècre pourtant. En 1990, quand une grande partie du peuple congolais manifeste pour réclamer des augmentations de salaires, des élections libres et la liberté d’expression et que peu de temps après Joseph Rendjambé est retrouvé mort dans des conditions suspectes, le pouvoir d’Omar Bongo vacille mais la France (Jean-Pierre Chevènement est ministre de la Défense) envoie des parachutistes à Libreville pour rétablir l’ordre. Bien entendu, les dictateurs affirment toujours que sans eux ce serait pire et que leurs opposants sont des apprentis dictateurs... Ceux qui les croient veulent bien se laisser convaincre aussi. Car en réalité, ce sont les dictateurs en Afrique qui jouent la carte ethnique notamment en favorisant toujours l’ethnie du président et en créant des jalousies et des rivalités. Lewin, le village natale du Téké Omar Bongo est devenu Bongoville…
Alors de grâce, M. J.-P. Chevènement, nous vous admirons pour votre courage à avoir refusé le devoir d’ingérence au Moyen-Orient, ne le justifiez pas en Afrique au nom de responsabilités morales qui cachent en fait des intérêts stratégiques.
Note : 1. Le discours correspond à la dernière partie de l'entretien qui suit.
Jean-Pierre Chevènement invité de Nicolas Pierron
envoyé par radioclassique.
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A lire sur ce blog concernant Jean-Pierre Chevènement : J.-P. Chevènement et les élections européennes de 2009.
A lire sur ce blog concernant le Gabon après la mort d'Omar Bongo : http://romanderenart.canalblog.com/tag/Gabon